Qu’est-ce que communiquer ? Et comment communiquer efficacement ?
Les réflexions et les ouvrages abondent sur ces sujet controversés. Mais, pour simplifier outrageusement, nous pourrions partir de l’idée que communiquer ce soit partager – mettre en commun – un contenu, un message.
Dès lors, on pourrait dire qu’une communication a été efficace lorsque le récepteur a « bien » reçu ce que l’émetteur souhaitait mettre en commun.
Ces définitions sont bien évidemment réductrices à l’extrême car la communication, en particulier inter-individuelle, est bien plus qu’une simple transmission de message : elle est un processus d’influence réciproque.
Mais, pour ce qui concerne cet article, intéressons-nous simplement à un aspect particulier de la communication : sa non rationalité
Dans notre société moderne et occidentale, nourrie par la pensée d’Aristote et des Lumières – peut-être plus encore en France, patrie de Descartes -, nous pouvons parfois avoir tendance à croire que la logique d’une argumentation, l’organisation et la pertinence intellectuelle des arguments, leur véracité, leur objectivité… sont déterminants dans la communication.
Et pourtant… Si la raison était vraiment un moteur essentiel de nos comportements, y aurait-t’il encore des fumeurs sur la planète ? La communication scientifique autour des méfaits du tabac n’est-elle pas suffisamment répandue pour que tout le monde soit raisonnablement informé des risques encourus ? Mais que pèsent ces arguments face à l’illusion de liberté promue par un fameux cowboy associé à une marque de cigarettes, aux modèles charismatiques que sont les acteurs qui fument dans films et séries télévisée… et à notre myopie face aux conséquences futures d’un comportement qui nous procure du plaisir dans l’instant présent ?
Publicitaires, propagandistes, artistes, avocats de talents et autres professionnels de la communication, savent pertinemment que, bien plus que la rationalité des arguments, c’est la capacité à toucher, à susciter attention et réaction émotionnelle qui forment les points clés d’une communication aboutie.
Pensez-vous vraiment que votre dernier achat d’automobile, de téléphone portable, d’ordinateur ou de vêtements ait été uniquement mû par des critères rationnels, par la raison ? Ou bien saviez-vous plutôt d’emblée de quoi vous aviez envie et avez-vous ensuite rationalisé les motifs de votre choix, éventuellement en négociant avec vous-même, entre le désir et la raison ?
Notre raison, notre logique, sont infiniment faillibles.
C’est certes une faculté remarquable et, semble-t’il, l’apanage de l’espèce humaine, mais elle est bien plus fragile que nous n’aimerions le croire.
Non seulement elle cède facilement le pas à l’émotion, mais il se pourrait même qu’elle en soit le produit !!!
Nous savions de longue date que les émotions « troublaient » le jugement. En ce début de 21e siècle, les neurosciences nous suggèrent qu’elles pourraient en être le soubassement (voir : Antonio R. Damasio, « Spinoza avait raison », Ed. Odile Jacob – 2005). Mus par le couple plaisir/déplaisir, nous sommes en effet, au même titre que la mouche ou le babouin, automatiquement stimulés par nos émotions primaires à satisfaire nos besoins, à éviter les menaces sur notre intégrité physique et à répéter des schémas s’étant avérés jusque là satisfaisants. Ainsi, émotions après émotions, produits d’innombrables répétitions, se forment par apprentissages successifs, nos réseaux neuronaux, nos croyances et nos comportements… y compris notre « raison ».
Et même lorsque nous faisons l’effort d’écarter, autant que faire se peut, les émotions, notre raisonnement est littéralement criblé de biais cognitifs (voir aussi, notamment, les articles : Aversion à la perte : la maîtriser pour gagner en confiance et Soignez les débuts et les fins de vos relations)
À tel point que la recherche en économie, qui reposait jusqu’à la fin du 20ème siècle sur l’hypothèse de l’existence d’un homo economicus/opérateur rationnel – a dû redéfinir ses prémisses et inventer le concept de rationalité limitée pour prendre en compte les failles inhérentes à la raison humaine.
Alors comment communiquer efficacement, entre êtres si peu rationnels, sans prendre en compte tous les facteurs intervenants dans nos processus d’attribution d’attention, de compréhension, de jugement, de décision ?
Communiquer efficacement, c’est s’adresser à tout ce qui constitue l’être humain. Non seulement sa raison, mais aussi ses émotions, ses systèmes de valeurs, ses croyances. C’est communiquer non seulement par les mots, mais aussi par le regard, le geste, le toucher, la présence, l’intonation… Communiquer non seulement avec la conscience, mais aussi avec « l’inconscient » de notre interlocuteur.
Si vous deviez expliquer à votre conjoint en colère que vous devez décommander la sortie que vous lui aviez promise, pensez-vous que le plus efficace serait de lui expliquer rationnellement pourquoi vous n’avez pas pu vous rendre disponible ? Ou bien l’essentiel de la communication passera-t’il par le ton navré de votre voix, le sourire tendre vous lui adresserez, voire même surtout dans le non-dit que « c’est une exception et que d’habitude vous tenez toujours vos engagements » ?
Et si vous étiez au chevet d’un proche atteint d’une maladie grave, à quoi serviraient les commentaires rationnels, en regard d’un sourire, d’une caresse ?
Déjà dans l’Antiquité grecque, les fondateurs de la rhétorique l’avaient compris : pour bien communiquer le « logos » (le raisonnement, la logique) ne suffisent pas. Il faut y ajouter le « pathos » (l’émotion) et l’ « ethos » (la réputation, l’image, l’identité perçue).
Aujourd’hui, les avancées des neurosciences, de la psychologie cognitive et sociale… et de cet art de communiquer avec l’inconscient que l’on appelle « hypnose », nous permettent d’aller plus loin. D’affiner à l’extrême le « savoir communiquer »
Alors, on pourra légitimement nous rétorquer : « mais tout ça c’est de la manipulation ! ». Oui, bien sûr : dans toute communication, tout processus d’influence, abus et malveillance sont possibles…
Mais que vaut-il mieux ? Être mus par des mécanismes inconscients sans réaliser ce qui se produit dans l’acte de communiquer ? Au risque de manipulations inconscientes, d’incompréhensions et de conflits. Ou bien prendre conscience de ces mécanismes pour mieux les utiliser dans le respect des intérêts et de la liberté d’autrui… et savoir se défendre des abus volontaires ou involontaires auxquels nous pouvons être confrontés ?
Nous croyons que la connaissance libère et qu’aucune communication n’est plus efficace que celle qui, justement, respecte l’intérêt d’autrui dans la recherche d’un bien réciproque.
Et vous, que pensez-vous de la communication et de la raison ? Et quels sont les arguments qui vous ont le plus marqués dans ce texte ? Les arguments rationnels ou les histoires auxquelles vous pouvez relier votre expérience ?
Oui Jean, parfaitement d’accord avec le fait que la raison n’est souvent que le produit de nos émotions. Et parfois même on se sert de la raison pour justifier et oublier l’émotion qui se cache derrière. Quand on a peur d’affronter une situation,c’est plus confortable de se trouver une raison pour ne pas s’y confronter. Un romancier, par exemple, qui voudrait trouver un éditeur, mais qui a peur du rejet, qu’on lui dise que son bouquin n’est pas bon, peut se trouver une raison : « non, ce n’est qu’un brouillon, je dois réécrire certaines parties » et il réécrit son roman comme ça, éternellement, pour ne pas avoir à l’envoyer et avoir à essuyer un refus éventuel des éditeurs. En anglais on dit « he rationalizes » et si on regarde le mot autrement ça donne « rational lies »… Et c’est une « accro » à la peur qui parle… en connaissance de cause…Bises
Comme le dit l’adage populaire : le coeur a ses raisons que la raison ignore :-)..J’ai parris un jour que dans un exposé ou un discours, il fallait parler a la tete (raison), au coeur (l’emotion) et au corps (mouvement) pour que les idées penetrent (impregnenet ?) bien le public..Merci – cordialement