Vous avez sans doute déjà remarqué comment le cadrage d’une photo pouvait modifier la perception, la compréhension, le sens, de ce qui est représenté. En focalisant le regard sur les éléments dans le champs de la photographie, le cadrage tend à faire oublier l’existence d’un « hors-champs » (ce qui est extérieur au cadre).
On peut par exemple trouver une illustration frappante de cette idée sur le blog de Joel Harding, consultant en communication stratégique et en cyberguerre.
Mais savez-vous qu’il peut en être de même dans des échanges verbaux ?
Dans son ouvrage « Pitch Anything », le banquier d’investissement Oren Klaff montre comment la maîtrise du cadre d’un échange peut en influencer le résultat.
Sollicité pour mettre sur pied, dans le cadre d’un appel d’offre, un important programme foncier structuré autour de la rénovation d’un aéroport dans la région de Los Angeles, M. Klaff, sait qu’il va se trouver en compétition avec des concurrents plus puissants et mieux organisés qui favoriseront dans la présentation de leur projet les angles les plus avantageux pour eux : la taille et la puissance pour l’un des projets concurrents et l’expertise technique pour le second. Deux terrains sur lesquels Oren Klaff sait être ne pas être gagnant.
En se renseignant sur l’investisseur à l’origine de l’appel d’offre, M. Klaff découvre cependant que ce dernier s’apprête à prendre sa retraite et qu’il est un résident de longue date de la ville ou doit être réalisée la rénovation de l’aéroport… l’un des plus anciens des États-Unis.
Prenant ces informations en compte il en déduit que l’investisseur, pourrait être sensible à un argumentaire mettant en valeur :
– La notion d’héritage et de transmission
– La mise en valeur du patrimoine historique constitué par l’aéroport
– La contribution apportée par le projet au bien être des résidents de la ville
Au moyen d’images de l’histoire de l’aéroport et de témoignages de travailleurs de l’aéroport et d’habitants de la ville, sur les besoins et les préoccupation de la communauté et sur la fierté de travailler sur ce site historique, il structure donc son projet et sa présentation commerciale autour du thème principal du leg précieux que l’investisseur laissera aux habitants de la ville et à l’histoire de l’aviation si c’est son projet qui est choisi.
C’est ainsi que, face à des concurrents plus puissants et mieux organisés, il remporte un contrat d’un milliard de dollars.
Bien sûr l’offre mise sur pied par Oren Klaff est aussi financièrement et techniquement rigoureuse et il emploie pour la promouvoir diverses techniques de communication. Mais le cœur du succès de son offre, analyse-t’il, tient avant tout à une chose : il a su présenter son projet dans un cadre en accord avec les motivations profondes de son interlocuteur.
Si vous voulez vous aussi influencer vos interlocuteurs, notamment dans le cadre de négociations, vous le savez déjà intuitivement, le meilleur cadre à l’échange sera ainsi celui qui épousera leurs principales préoccupations, leurs principaux centres d’intérêt, et leur permettra de se sentir bien sur ces sujets.
Cela demande quand même un minimum de tact et de mesure. A trop vouloir plaire, il arrive que l’on suscite la méfiance.
Peut être ne l’avez-vous pas remarqué, mais les enfants ont tendance à très naturellement poser le cadre le plus favorable lorsqu’ils veulent obtenir quelque chose de vous : « tu as vu, j’ai eu de bonnes notes ce trimestre… et j’ai appris à mieux ranger ma chambre pas vrai ? Tu crois que je pourrais aller dormir chez ma copine ce week-end ? Elle est trop bonne en maths. Elle m’a beaucoup aidée pour le dernier devoir ».
Et voilà, quelques mots de trop. C’était trop beau pour être vrai. Vous êtes maintenant tous sens en alerte pour tenter de déceler la partie de la réalité qui ne vous est pas présentée.
Identifiez les cadrages manipulateurs
Pour le champs des sciences sociales, le cadrage, renvoie à la perspective selon laquelle la réalité est perçue, organisée, communiquée. Et les travaux abondent, notamment, sur la manière dont l’information est présentée en politique, structurant le récit sur les problématiques sociétales en fonction des solutions que l’on veut proposer.
C’est ainsi que, par exemple, certains partis politiques présenteront l’immigration sous l’angle de l’envahissement ou de la délinquance pour proposer un certain type de solutions et que d’autres mettront en avant la richesse culturelle et humaine pour promouvoir d’autres approches.
Tout cadrage cognitif est ainsi, par essence, pourrait-on dire, manipulateur, en ce qu’il » force » notre attention à considérer une partie de la réalité plutôt qu’une autre. Et plus la réalité décrite sera en accord avec notre expérience concrète, plus la charge émotionnelle sera forte… et plus nous aurons tendance à nous faire piéger dans une représentation de la réalité qui ne nous convient pas forcément.
Le plus souvent, le processus est inconscient et les gens tendent à cadrer les questions qu’ils traitent en fonction de leurs habitudes mentales, de leur culture, de leur éducation.
Mais manipulateurs malveillants et/ou professionnels de la communication savent aussi établir sciemment des cadres en fonction des objectifs qu’ils veulent atteindre.
Pour Philippe Breton (La parole manipulée, Éditions la Découverte) , un cadrage manipulateur consiste à utiliser des éléments connus et acceptés par l’interlocuteur et à les réordonner de manière telle qu’il ne puisse s’opposer à accepter l’argumentation (on retrouve ici le principe du Yes Set). De nombreuses tactiques existent pour cela, sur lesquels nous auront sans doute l’occasion de revenir pour mieux savoir s’en prémunir.
En revanche, un cadrage efficace et convaincant est aussi une manière légitime et pertinente de trouver un terrain d’entente avec un interlocuteur. Du coup, comment séparer la manipulation malsaine de la communication efficace ?
Un bon critère me semble-t’il, est à chercher du côté du respect des intérêts de chacune des parties à l’échange.
Comment éviter de se faire prendre au piège ?
La première piste pour éviter de se faire manipuler par un cadre peut être de remarquer vers quel type de comportement oriente l’argumentation. Est-elle susceptible de nous pousser à prendre que nous n’aurions pas forcément choisies avant de l’entendre ? Ces comportements, décisions, nous conviennent-ils vraiment ? Sont-ils en accord avec nos valeurs et nos intérêts ? Prendre un temps de recul et de réflexion est souvent salutaire (et aussi savoir se libérer de l’engagement).
Un deuxième antidote est de développer une habitude de raisonnement critique : quels sont les faits qui ne sont pas pris en compte dans l’argumentation ? Comment pourrait-on démontrer le contraire ?
Enfin, on pourrait se donner comme règle personnelle que plus une argumentation suscite d’émotion, plus des affirmations nous semblent évidentes… plus elles méritent d’être questionnées.
Des recadrages salutaires
Car nous avons tendance à nous laisser d’autant plus influencer que des idées nous semblent « normales », familières (cf. biais de confirmation d’hypothèse).
Pourtant, si nous voulons développer notre esprit critique et nous libérer des cadres cognitifs non choisis, il est important d’apprendre à aimer un certain inconfort intellectuel.
Dans le champs du développement personnel, la manière dont les gens cadrent eux-mêmes leur réalité (ou ont intégré les cadrages de leur environnement) est bien souvent une des manières les plus efficaces de construire leur propre malheur. Et le recadrage (en coaching ou en hypnothérapie, par exemple) est un moyen de choix pour aider une personne à accéder à de nouvelles possibilités.
Et vous, que ce soit en situation professionnelle (négociation, entretien d’embauche, présentation… ) ou personnelle, comment appréhendez-vous cette notion de cadre ? Proposez-vous toujours des cadres favorables à la satisfaction de l’ensemble des protagonistes ?